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DEDUIRE L’INVESTISSEMENT SOCIETAL DE L’IMPOT: REDISTRIBUTION DES ROLES

6. octobre 2025

Interview de Hugues Chatelain, Président de SocietyVision Dans un monde fragmenté, où les liens sociaux s’effritent et la défiance s’installe, les entreprises ont la capacité et la responsabilité de redevenir des acteurs de cohésion. En tissant des coopérations durables avec les associations locales, elles peuvent contribuer à renforcer le tissu social, culturel, sportif et environnemental […]

Interview de Hugues Chatelain, Président de SocietyVision

Dans un monde fragmenté, où les liens sociaux s’effritent et la défiance s’installe, les entreprises ont la capacité et la responsabilité de redevenir des acteurs de cohésion. En tissant des coopérations durables avec les associations locales, elles peuvent contribuer à renforcer le tissu social, culturel, sportif et environnemental de nos territoires. Avec SocietyVision, Hugues Chatelain propose une vision audacieuse : faire de la fiscalité un levier d’impact, en transformant une part de l’impôt en investissement sociétal. Une réforme pragmatique pour réconcilier performance économique et bien commun.

Dans le cadre de SocietyVision, vous lancez une initiative en faveur de la déduction de l’engagement sociétal de l’impôt pour les entreprises qui investissent dans des coopérations et projets à impact. Vous œuvrez pourtant pour une meilleure répartition des richesses. N’est-ce pas contradictoire de réduire la charge fiscale des entreprises ?

L’initiative que nous portons est justement un levier de redistribution. Elle vise à donner aux entreprises une responsabilité directe dans la construction du bien commun. Plutôt que de prélever pour redistribuer ensuite, nous proposons d’orienter une partie de la fiscalité des entreprises vers des engagements à long terme, dans des projets sociaux, culturels, environnementaux ou éducatifs, au-delà des politiques RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise).

Autrement dit, les entreprises deviendraient actrices de la redistribution ?

Exactement. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est un modèle vertueux. Lorsqu’une entreprise s’engage durablement avec le tissu associatif local, elle crée de la valeur partagée : pour elle-même, pour la société et pour les collectivités. C’est une approche gagnant-gagnant : la fiscalité devient moteur d’impact, et non simple prélèvement. Et qui mieux que les entreprises en collaboration avec les OBNL (Organisations à But Non Lucratif) peut agir au niveau local?

Cela suppose que le tissu économique et social travaille ensemble. Quelle est la base de votre modèle ?

La coopération. C’est la coopération qui remplace l’opposition traditionnelle entre intérêt privé et intérêt public. Notre conviction, c’est que la coopération entreprise-association est plus efficace pour transformer la société que la redistribution monétaire centralisée.

Comment cela fonctionne-t-il concrètement ?

Le modèle repose sur un contrat moral et économique : une entreprise réduit sa charge fiscale à condition d’investir de manière structurée, mesurable et durable dans des projets à impact en collaboration avec les associations. Ces fonds ne disparaissent plus dans un flux anonyme d’impôts, ils s’ancrent sur le territoire, au service du lien social.

Cela signifie que vous ne cherchez pas à contourner l’État ?

Pas du tout. Nous voulons l’aider à réinventer ses leviers. Ce que nous proposons, c’est un nouveau pacte social : plus de responsabilité directe, plus de transparence, plus d’efficacité.

Concrètement, quels sont les bénéfices pour chaque partie prenante?

Cette initiative s’adresse à quatre partie-prenantes avec des effets positifs pour chacune d’elle. Pour les entreprises, c’est transformer une charge fiscale en investissement d’impact. Elles renforcent leur réputation locale, leur attractivité RH et leur ancrage territorial. Pour les OBNL, c’est la fin de la précarité structurelle : elles gagnent en stabilité financière, peuvent planifier des actions à long terme et sont plus efficaces. Pour la population, c’est plus de projets concrets proches de ses préoccupations: culture, sport, emploi, environnement, précarité, cohésion sociale. Enfin, pour les collectivités publiques, c’est un effet multiplicateur. L’engagement ciblé et coopératif est plus efficace qu’une redistribution centralisée. Il traite le coeur des besoins, au plus proche de la population.

En résumé, tout le monde y gagne ?

Oui. C’est un cercle vertueux. La richesse circule mieux lorsqu’elle relie les acteurs plutôt que lorsqu’elle les sépare.

Comment en êtes-vous arrivé à cette idée transformatrice ?

C’est le fruit d’un long cheminement. J’ai passé plus de trente ans dans le monde de l’entreprise, à des postes de direction dans l’industrie et le commerce. J’y ai vu deux mondes évoluer en parallèle : celui de l’économie, puissant mais souvent en quête de sens, et celui de la société civile, riche d’idées mais fragilisé.

Un constat de fracture, donc ?

Oui, une fracture entre efficacité et utilité. Et j’ai compris qu’il manquait un pont entre les deux. Ce pont, c’est la coopération. Elle permet de transformer une partie de la performance économique en impact sociétal, de créer de l’emploi et de soutenir la cohésion sociale au niveau local et national.

Et c’est ce que vous avez cherché à formaliser ?

Exactement. Mon travail de recherche et d’expérimentation, notamment dans mon livre Penser autrement: l’entreprise, la société et le capitalisme durable, m’a conduit à construire un modèle qui dépasse l’opposition entre profit et bien commun. SocietyVision en est aujourd’hui la mise en œuvre concrète. Ce n’est pas une idée théorique, c’est une réponse à la crise de sens que beaucoup d’entrepreneurs et d’employés vivent. Par exemple, notre action avec Pascal Masapollo et son entreprise PIMAS SA est l’illustration de ce qu’il est possible de faire. C’en est le moteur et la preuve qu’il est possible de transformer nos modèles classiques. Le lancement de notre initiative en faveur de la déduction de l’impôt sur les sociétés de l’engagement sociétal est le reflet de notre volonté de démultiplier ces actions et de passer à une autre échelle, plus structurée et systémique. 

Et vous, qui êtes-vous derrière cette démarche ?

Je me définis comme un passeur. Mon rôle est de relier les mondes : celui de l’économie et celui du sens. La transformation durable ne vient pas de la confrontation, mais de la coopération. C’est aligner les points forts de chacun et se poser la question du sens de ce que l’on fait et de ce que l’on veut laisser derrière soi. Pour les générations à venir.  Mon parcours m’a appris cela. La coopération est une option dont l’urgence est très actuelle, surtout dans notre contexte contemporain. Elle demande rigueur intellectuelle et respect mutuel.

Vous parlez presque de “révolution coopérative”… si l’on lit entre les lignes.

Oui, car je ne crois plus aux grandes révolutions descendantes. Les véritables transformations naissent du terrain, de la coopération, du dialogue entre acteurs. SocietyVision, c’est la concrétisation de cette conviction : la richesse véritable ne se mesure pas seulement en valeur monétaire, mais en valeur partagée, en confiance restaurée, en coopération retrouvée. 

Il est temps de faire évoluer trois mots utilisés quotidiennement: Remplacer croissance par progrès, compétition par coopération et valeur par valeurs (plurielles).

Pour conclure, quel appel lancez-vous aux entreprises et aux décideurs ?

Je les invite à franchir le pas et à soutenir cette initiative qui est structurante et à la base de la transformation dont nous avons besoin: Oser transformer une partie de la fiscalité en engagement concret et considérer la coopération non plus comme une charge, mais comme un levier de croissance humaine et économique.

Notre vision à cinq ans est claire : bâtir un nouveau modèle de prospérité, où chaque franc investi dans la société rapporte plus qu’il ne coûte, en impact, en cohésion et en avenir partagé.